Thursday, October 05, 2006

A l' origine de la société esclavagiste le capital marchand

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Les éléments qui auraient pu conduire au capitalisme fondé sur le salariat :

Dès le XVII° siècle se trouvaient réunis (en particulier dans les îles françaises) quelques un des principaux éléments qui auraient pu conduire plus directement du capitalisme marchand qui organise la colonisation et le développement de la production, au capitalisme fondé sur le salariat :
- la propriété privée de la terre, qui constitue un groupe de propriétaires et de non propriétaires;
- un capital marchand accumulé dans certains ports de la métropole, rodé aux opérations commerciales, et qui s'investit dans des opérations d' exploitation dans les îles;
- un pouvoir central qui est prêt (sauf dans les colonies espagnoles) à encourager le développement des exploitations;
- les marchands et représentants de l' État peuvent intervenir directement, ou par le biais de Compagnies crées à cet effet et drainant d'importants capitaux; (Le capital prend donc la forme collective d'une personne morale);
- une monnaie coloniale la livre de tabac; la livre de sucre puis la livre Tournoi, qui est une monnaie de compte, une monnaie scripturale, mais pour laquelle il y a un marché (A la fin du XX° siècle on parlerait d'instruments financiers, traités sur des marchés à terme);
- un marché pour l' écoulement des produits coloniaux;
- une population dans les métropoles, prête à s'expatrier dans les colonies, et qui ne possède que sa force de travail, qu'elle alloue à temps, devenant "Engagé" aux îles;
- la maîtrise à un certain niveau de techniques de production;
- une forme primitive de la séparation de l' agriculture et de la manufacture, le moulin concédé exclusivement pour 5 ans auquel plusieurs habitations doivent porter leur cannes à sucre. (Les Usines Centrales seront crées à la fin du XIX° siècle, après négociation de contrat exclusifs de 10 ans pour la fourniture de cannes entre l'usine et les habitations.
- Il était donc théoriquement possible d'organiser une production sucrière avec une sucrerie équipée disposant de sa main d' oeuvre d'une part, construite au centre de plusieurs exploitations plantées en cannes.

Mais il existe aussi des éléments qui freinent le développement du salariat.

Les freins au salariat :

- Il n'y a pas ou peu de numéraire aux îles, de monnaie en pièces par exemple, mais seulement diverses formes de monnaies de comptes payables donc à terme;
- Il n' existe pas dans les îles de main d'oeuvre importante, séparée des moyens de production et contrainte de s'employer pour autrui en recevant un salaire, en monnaie ou en produit.
- La structure même de cette main d'oeuvre, majoritairement constituée d' homme, (des travailleurs immigrés dirait on au XX° siècle) interdit qu'elle puisse atteindre sa reproduction naturelle. Cela aurait nécessité à la fois un rééquilibrage du ratio hommes /femmes, et un taux de natalité élevé, pour compenser une mortalité élevée.
- Il faut donc si on veut développer la production, introduire sans arrêt de la main d'oeuvre aux îles. D'autant que s'il est possible de produire du tabac avec quelques "engagés" la production de sucre nécessite une division technique du travail, des capitaux et une main d' oeuvre nombreuse.
- La main d' oeuvre d' "Engagés" sous contrat, a cette fâcheuse habitude une fois le contrat terminé, de quitter l' exploitation se transformant non pas en travailleur salarié, mais en petit exploitant indépendant après avoir obtenu ou acheté à terme" une concession.
- Il est difficile de les amener à travailler pour autrui, après leur contrat, tant il est clair pour eux qu'ils gagneront plus en devenant travailleur indépendant que travailleur salarié, et que le statut social du colon indépendant est plus valorisé que celui de salarié.
- Il est aussi difficile de demander à des colons d'offrir en fonction de leur disponibilité un travail au jour le jour, car il n'est pas possible de les payer immédiatement en numéraire, on ne peut que les payer qu'en compte payable à terme;
- A côté de cette main d' oeuvre libre, existe de façon marginale aux îles dès le début de la colonisation quelques esclaves noirs, transportés d' Afrique. Il est possible de les contraindre au travail, et de les empêcher de devenir indépendants.
- L'introduction de main d' oeuvre qu'elle soit de nouveaux engagés, ou d' esclaves s'analyse comme une opération de préfinancement par un marchand, ou une compagnie de l' achat par une colon installé aux îles d'une certaine quantité prévisionnelle de travail. Ce préfinancement est payé à terme au moyen de la remise d'une certaine quantité de marchandise, livre de tabac, ou livre de sucre, qui ensuite sera vendue, permettant au marchand de rentrer dans ses fonds engagés.

Produire du sucre dans ces conditions voudrait dire soit organiser un recrutement quasi permanent de nouveaux engagés, soit instaurer un système de contrainte sur les engagés libérés pour les forcer à travailler, soit intensifier par la traite le recours aux esclaves africains, dont la présence aux îles était jusque alors marginale.

Les acteurs de la décisions

Il y a cinq types de protagonistes qui sont concernés par la décision: les Colons; les marchands; l' État colonial; les Engagés; les Esclaves.

Pour le Colon, le préfinancement demandé pour chaque engagé, est moins élevé, que celui nécessaire pour un esclave. Cependant si sur une période de trois ans, il a bon espoir de récupérer sa mise dans une plantation en tabac, il est impossible de faire de même sur une exploitation nouvellement plantée en canne. En effet la première récolte en canne prend 16 à 18 mois, pour mener les cannes au stade de la récolte, la seconde prendra alors 12 mois en rejetons de canne coupée. Si on ajoute les quelques mois de défrichage, Il y aura donc moins de deux récoltes possibles avec des "Engagés" de trois ans. Pour lui la question est donc, suis je sur de trouver dans trois ans de nouveaux engagés qui viendront remplacer ceux qui auront quitté l' exploitation ?

Le rôle de l' État va alors être déterminant, il pouvait imposer un peuplement principalement d' engagés, en apportant son soutien financier et politique c' est ce que voulait Richelieu, pour lequel une population française nombreuse dans une colonie serait capable de s'opposer aux espagnols; mais il pouvait aussi encourager la traite et l'esclavage. C'est exactement ce que fit Colbert. Il contribua à la constitution d'une compagnie à Privilège chargée d'introduire des esclaves aux colonies et qui bénéficiât d'une prime pour l'introduction de chaque esclave.

Le marchand qui va assurer le préfinancement de l'opération se demande s'il est sur de pouvoir entrer totalement dans mes fonds, en aidant un colon à construire une sucrerie, et en l' aidant lui ou d'autres à trouver de la main d' oeuvre pour récolter de la canne ? Combien cette opération va t' elle me rapporter ? Est il possible d' améliorer financièrement l'opération ? Oui si on peut réaliser une première opération commerciale en allant chercher la main d' oeuvre à transporter,. En proposant de recruter des esclaves plutôt que des engagés, il devenait possible d' exporter vers l' Afrique des marchandises de pacotille, de les échanger contre des esclaves valant n fois plus, d' apporter ces esclaves aux Antilles, de les céder contre des marchandises de retour, du tabac, ou du sucre. Le capital marchand va découvrir dans le financement de la traite des esclaves, "marchandise humaine" une importante source de profit, tout à fait comparable à celle qu'elle retirait anciennement des opérations de course, il va donc pousser au développement de la traite et du "commerce triangulaire".

Pour l'Engagé La question est de survivre jusqu' à la fin de son temps d' engagement, afin de pouvoir à son tour faire fortune aux îles.

L' Esclave seul n'eut jamais rien à dire, il subit la violence, le rapt, moyens considérés comme normaux alors de s'enrichir pour les marchands flibustiers.

Un nouveau mode de production dominé par l' esclavage est en train de s'instaurer.

Ce n'est pas là seulement un choix alternatif d'utilisation d'un type de main d' oeuvre, c'est l'indice que la société est en train de profondément se transformer. Cela fera basculer le système, du travail libre au travail servile.

Les sociétés antillaises en formation combinent à la fois, la propriété privée de la terre, qui est donc devenue une marchandise, qui assure déjà la séparation de la société entre ceux qui possèdent la terre, et ceux qui n' en ont pas; les avances du capital marchand, qui recherche le développement de productions spéculatives exportés, l' argent est donc lui aussi une marchandise et la propriété des esclaves devenus eux aussi marchandise.

L' esclavage dans les îles de la caraïbe est donc le produit d'une forme particulière du capitalisme, le "Capitalisme Marchand", et non du "Féodalisme".

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